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Naissances du Monde
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Naissances du Monde
  • A l'origine, nous partions aider les naissances Cambodgiennes en septembre 2014 en tant qu'étudiantes sages-femmes. Aujourd'hui diplômées, nous parcourons les naissances de contrées plus ou moins lointaines. Et nous en apprenons tous les jours !
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8 novembre 2020

Jhumki ou la dangerosité de la vie

Le camp de réfugiés

La route est longue et cabossée.

Je regarde les alentours en tentant de me remémorer les quelques mots que j'ai appris en partant : « Choubo chakal » Bonjour !, « Donobat » Merci !, « Ham » oui, « Na » non, « Ek, Doué, Tin » 1, 2, 3, « Chagotom » De rien.

Pleins de petites maisons en tôles ou en bambous longent le trajet, la route est poussiéreuse et jonchée de monticules de déchets en plastique avec des vaches qui tentent d'y trouver à manger. On finit par fermer les fenêtres car la poussière rentre dans la voiture.

Après 1h30 de route, on me dépose dans une maison au milieu des rizières, un gardien est à la porte et m'accompagne vers le responsable de ma mission. Il me fait un long topo sur la sécurité lors de celle-ci puis m'indique la chambre dans laquelle je peux m'installer. Je partage la chambre avec une autre sage-femme qui n'a pas pu travailler depuis 2 jours car elle est malade.

La maison est grande, l'espace commun est simple et rempli de papiers et d'ordinateurs, le jardin est clôturé par d'immenses murs, « parfois le soir on joue au badminton avec les traducteurs ».

Après avoir mangé avec l'équipe, je pars dans les camps accompagnée de mon traducteur pour découvrir l'environnement dans lequel je vais travailler ces prochaines semaines.

On part en 4x4, sur le même genre de route que le matin puis on entre dans la campagne, les rizières se font plus présentes et on passe quelques villages.

On arrive sur une route toujours poussiéreuse avec deux miradors au loin, des grandes tentes blanches se trouvent juste à côté des points de surveillance. Des gardes se tiennent devant les tentes, ils sont armés. Je ne sais pas si ce sont des fils barbelés tout autour ou bien des fils électriques. On monte une petite colline, on croise beaucoup de voitures/camionnettes/minibus floqués d'autocollants associatifs. Arrivés devant les miradors, le traducteur m'annonce qu'on est entré dans les camps.

Une longue file d'attente de personnes en haillons se tient au loin devant une tente avec une croix rouge dessus, « ils attendent toute la journée les paquets de nourriture ».

Il n'y a pas d'animaux, la route est plutôt propre, des baraquements bleus se tiennent à perte de vue. Il y a des petits drapeaux bleus et jaunes un peu partout avec des numéros dessus. Je vois quelques échoppes en bambous et avec des bâches où des victuailles se battent en duel sur le comptoir.

On s'arrête. On est arrivé à l'hôpital où je vais travailler. Le dispensaire est reconnaissable grâce au panneau qui l'indique devant. Deux gardiens armés me demandent d'inscrire mon nom sur le registre de l'accueil. On toque à un bureau et on m'annonce que le directeur va me faire la visite.

La visite est plutôt rapide, les premiers baraquements en tôle à l'entrée sont pour les consultations de pédiatrie et les consultations générales. Le couloir devant ces bureaux est bondé, des personnes assises par terre, allongées par terre, avec un bébé hurlant dans leurs bras. Ces mêmes personnes me regardent avec insistance. On dit bonjour aux équipes sur place dans les bureaux de consultation. Toutes les équipes sont accueillantes.

On descend quelques marches pour arriver vers 2 tentes, on ouvre une tente et je retrouve le médecin de la veille en pleine consultation. Ces 2 nouvelles tentes sont là pour pallier à la hausse du nombre de consultations depuis quelques semaines : il y a une vague de varicelle en ce moment et il fallait séparer ceux qui consultent pour ça et les autres.

On redescend encore quelques marches et une vingtaine de femmes attendent au soleil, accroupies par terre devant un baraquement. On entre dans le baraquement et une trentaine de femmes sont agglutinées à l'intérieur. C'est la salle d'attente des consultations prénatales.

2 autres salles se trouvent à l'intérieur où les sages-femmes font leurs consultations, la référente Chandra me voit et prend le relais pour la visite.

Chandra est une petite jeune femme de 22 ans à lunettes, mince, avec des traits fins et un accent moins prononcé que le traducteur, elle porte un voile rose bonbon et a une blouse tout aussi rose au dessus de son sari. Elle s'exprime avec fluidité et me met à l'aise tout de suite.

Elle me prend par le bras et me dit qu'une sage-femme a besoin de moi en salle de naissance.

On fait donc demi-tour dans la salle d'attente, les 4 autres sages-femmes présentes ont juste eu le temps de lever la tête vers moi et de me faire un signe de bienvenue avant que je ne reparte.

Sur le chemin, elle me montre 2 préfabriqués : un pour les consultations d'échographie et un autre qui ne sert pas car il y fait trop chaud pour y mettre des patientes.

On arrive dans un bâtiment en béton cette fois, pleins de petits souliers jonchent l'entrée, je comprends qu'il faut donc se déchausser (La prochaine fois, je viendrai en savates).

Dans la première salle, il y a 3 lits simples où 2 mamans sont allongées avec leurs bébés et 4 autres femmes se tiennent assises sur le dernier lit. Elles me font coucou mais je n'ai pas le temps de comprendre qui elles sont car Chandra me tient par le bras.

La deuxième salle est la salle d'accouchement, elle fait environ 20m², il y a une chaise percée dans un coin, une table d'examen dans un autre coin avec une femme très enceinte dessus, une table faisant office de bureau et une grande armoire avec pleins de boites en plastique dedans. Un lavabo se trouve juste à côté d'une porte menant à une petite salle de bain avec toilettes à la turc et un lavabo à ras du sol avec un petit seau en plastique rouge.

En me voyant, la sage-femme discute avec Chandra avec de grands gestes, mimant un gros ventre et montrant la patiente sur la table d'examen. Chandra me traduit en disant qu'elle ne comprend pas pourquoi la forme du ventre de la patiente est en cœur pendant la contraction et que la patiente est à dilatation complète mais que l'enfant ne descend pas alors que ça fait 30 minutes qu'elle pousse.

Je suis impressionnée de constater que la femme sur le point d'accoucher ne bronche pas et pousse en silence pendant ses contractions (sans péridurale bien sûr). Effectivement, son ventre a une forme peu commune. Je demande à la sage-femme, qui parle un peu anglais, si elle sent une tête lors de son toucher vaginal ou si elle sent des pieds ou des fesses. Elle me dit qu'elle sent une tête. Je lui demande si elle a l'impression que la tête est très grosse, elle me dit qu'elle lui paraît plutôt petite. Je lui propose d'amener l'appareil d'échographie pour comprendre.

Elle pose la sonde et m'annonce fièrement devant l'image que c'est bien une présentation céphalique. Je prends la sonde d'écho et je remonte un peu plus haut. Une deuxième tête. Je vais d'un coté puis de l'autre : Un cœur, deux cœurs. Et là, elle dit à voix haute paniquée « Oh my god, oh my god, 2 babies ! ».

On appelle la gynécologue de garde, surprise de me voir. On lui expose la situation. La gynécologue nous dit de mettre une perfusion d'ocytocine, de continuer de la faire pousser et elle s'en va...

La sage-femme pose une voie veineuse et je lui dis de ne pas mettre l'ocytocine tout de suite. On fait pousser la patiente une demi-heure de plus et le premier jumeau ne descend pas d'un poil. On rappelle la gynécologue et je lui dis que j'ai l'impression à l'échographie que les 2 têtes sont imbriquées l'une dans l'autre et qu'il est possible que les jumeaux soient dans la même poche, ce qui contre-indiquerait l'accouchement par voie basse. Elle me dit qu'elle n'y connaît rien en échographie, qu'elle n'a jamais eu de formation et que donc elle me croit et qu'on va faire une césarienne.

2h10.

2h10 entre la décision de césarienne et l'extraction des jumeaux.

On a eu le temps de s'y préparer... Et de constater qu'il n'y a pas beaucoup de matériel pour la réanimation. Une poire pour aspirer (un mouche-nez). Un ballon taille adulte pour ventiler à l'air qui est scotché à l'arrache pour éviter les fuites d'air. Je trépigne. À un moment, j'ose demander à la gynécologue si elle a besoin d'aide car je sais que le médecin que j'ai rencontré la veille est chirurgien et il m'a dit qu'il avait fait de nombreuses césariennes lors de ces précédentes missions. J'ai juste entendu de sa voix tremblotante que c'est sa première césarienne.

Je suis partie en courant chercher le médecin dans la tente. Il est venu, tout content de quitter ses consultations de varicelle et s'est habillé pour aider à l'intervention. La gynécologue ne l'a pas autorisé à toucher à un seul instrument. Elle semblait ne pas vouloir écouter ses conseils. Et l'intervention a donc duré 2h10.

La première jumelle naît et va plutôt bien, Chandra l'emmitoufle dans du coton et attend le suivant. La deuxième jumelle naît et va plutôt bien aussi, on l’emmitoufle de coton et on part avec les bébés dans les bras dans le baraquement du pédiatre. Le pédiatre les pèse : 1,7 et 1,8 kgs. Elles vont bien. Il leur prescrit des gouttes pour les yeux et nous dit qu'il faut qu'elles mangent rapidement. En repartant avec les petites dans les bras, 2 femmes nous attendent devant le bloc de césarienne et les prennent avec émotions dans leurs bras. Je comprends que l'une d'elle est la sœur de la patiente et l'autre est l'accoucheuse traditionnelle qui avait amené la patiente. Elles câlinent les jumelles en attendant leur mère.

La mère sort un peu groggy de la césarienne sur un brancard fait d'un lange tendu entre deux bambous, ce sont l'anesthésiste et la gynécologue qui portent la patiente. Une fois la patiente installée dans un lit, l'accoucheuse traditionnelle vient lui montrer ses bébés et vient exprimer son colostrum qu'elle met dans une cuillère pour le donner aux nouveaux-nés.

Chandra m'explique qu'ici, c'est très mal vu que des hommes médecins soignent des femmes. Que seules les femmes peuvent toucher d'autres femmes sauf si ce sont leur mari. Je lui demande pourquoi l'anesthésiste qui a endormi la patiente est un homme, elle me dit qu'il n'existe certainement pas de femme anesthésiste.

La gynécologue est très satisfaite de son intervention, le chirurgien semble dépité.

Il n'y avait qu'un seul placenta et il n'y avait qu'une poche des eaux pour les deux jumelles. Je viens donc d'assister pour la première fois de ma vie à la naissance de jumelles d'une grossesse monochoriale-monoamniotique (0,013% des grossesses). Je viens d'assister pour la première fois de ma vie à un accouchement dans un dispensaire au milieu d'un camp de réfugiés de plus de 1 million de personnes.

 

Un mini-bus m'attend à l'entrée de l'hôpital pour retourner dans la maison du matin. Je retrouve le directeur de l'hôpital et mon traducteur dans la voiture. On s'arrête sur le chemin du retour pour acheter des volants de badminton. La rumeur a fait son chemin, les guides et les traducteurs m'attendent avec une raquette dans le jardin où ils ont installé un filet fait-maison.

On fait un 1 contre deux (moi toute seule contre 2 traducteurs), les gardiens et les chauffeurs ont installé des chaises pour nous regarder et nous applaudissent quand il y a de l'action. Leurs rires résonnent dans la cour et je suis heureuse d'être ici.

toutes les photos prises ont été en accord avec la mère et les équipes présentes

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